mardi 11 décembre 2007

La galaxie Glencore : Les flibustiers du management (L'Express du 27/03/2003)

Soupçonné de lâcher sa filiale Metaleurop, traité de «voyou» par le gouvernement français, le groupe suisse de négoce n'a cessé de prospérer, malgré les controverses. Enquête sur une galaxie opaque, aux méthodes abruptes
La lettre, signée de Russ Robinson, PDG de Metaleurop, coté à la Bourse de Paris, a été envoyée aux actionnaires fin décembre 2002. Cet Américain, bombardé quelques mois auparavant à la tête de ce groupe industriel français de transformation de métaux, leur promettait pour 2003 de «créer de la valeur» avec un «bilan solide» et un «retour à la rentabilité»! Quelques jours après ces vœux rassurants, le 16 janvier 2003, Metaleurop annonçait brutalement qu'il n'avait plus les moyens de soutenir sa principale filiale, Metaleurop Nord. Un aveu de faiblesse et un arrêt de mort pour les fonderies de plomb et de zinc de Noyelles-Godault, dans le Pas-de-Calais.
Les cris de colère des 830 salariés, lâchés par leur maison mère, et les dénonciations outragées du gouvernement, choqué par les méthodes de «voyou» de l'actionnaire principal (33%) de Metaleurop, le géant suisse du négoce Glencore, spécialiste des jongleries financières, n'y ont rien changé. Le 10 mars, dans l'enceinte du tribunal de commerce de Béthune, les femmes des ouvriers, venues en délégation, ont accueilli dans un silence ému la sentence: faute de repreneurs, l'usine de Noyelles-Godault sera fermée. Les derniers fours se sont éteints, symbole d'un siècle de travail des métaux, laissant autour d'eux des terrains pollués, des ouvriers anéantis, des familles malades et une région désolée.
Ultime bagarre: le comité d'entreprise tente d'arracher un plan social minimal et les administrateurs de Noyelles-Godault espèrent que le tribunal étendra rapidement la procédure de liquidation judiciaire à l'ensemble du groupe Metaleurop. «Comme Metaleurop Nord était pieds et poings liés à sa maison mère, il est normal de se tourner vers elle pour tenter de récupérer quelque chose. C'est trop facile de lâcher une filiale sans assumer son passif», lâche l'un des avocats des administrateurs.
Soucieux de dissuader d'autres pollueurs et craignant de devoir assumer les quelque 120 à 150 millions d'euros nécessaires au démantèlement de l'usine et à la décontamination des sols, le gouvernement a demandé, pour l'instant sans succès, au tribunal de grande instance de Paris la nomination d'un expert sur les mouvements de fonds entre la maison mère et sa filiale. «Nous utiliserons toutes les voies de recours, même si c'est difficile», dit-on au ministère de l'Ecologie et du Développement durable, conseillé par le cabinet Thieffry.
«Il n'y avait aucune fatalité à la débâcle»
Malheureusement, le groupe Metaleurop, en pleine négociation avec ses banquiers inquiets, avait déjà prévenu les marchés financiers qu'il risquait d'avoir lui-même des problèmes de trésorerie fin mars, malgré la récente cession d'une filiale rentable... Avec l'ardoise supplémentaire liée à la fermeture de Noyelles-Godault, un millier de salariés d'autres sites industriels contaminés sont menacés, comme à l'Estaque (Bouches-du-Rhône), Saint-Sébastien-d'Aigrefeuille (Gard), Avène (Hérault), Auby et Aubencheul-au-Bac (Nord), Arnas (Rhône) ou dans la vallée du Lavedan (Hautes-Pyrénées). «Les dégâts sociaux et environnementaux, considérables, risquent d'être à la charge des pouvoirs publics, tandis que les vrais responsables resteront impunis», dénonce Jacky Bonnemain, de l'association écologiste Robin des bois.
Certains salariés veulent aller manifester leur colère à Zoug, siège suisse de Glencore. Des créanciers, des petits porteurs et le gouvernement espèrent mettre en cause juridiquement cet actionnaire principal. Sans grande illusion: «Ces gens-là sont riches, puissants, presque intouchables», confie un avocat. Le groupe suisse a d'ailleurs logé ses titres de Metaleurop dans une société offshore, Glencore Finance Bermuda... Installés dans le canton le plus fiscalement clément de Suisse, à l'abri d'une coopération judiciaire transfrontalière délicate en matière commerciale, les dirigeants de Glencore n'ont, pour le moment, pas levé le petit doigt pour aider Metaleurop. Conseillé par les avocats parisiens du cabinet Bredin-Prat et les consultants en communication d'Euro RSCG, le président du groupe suisse, l'Allemand Willy Strothotte, refuse toute déclaration officielle, tout en bétonnant sa position: à ses yeux, les marchés sont déprimés, les surcapacités de production flagrantes, Metaleurop Nord accusait des pertes grandissantes qui menaçaient le groupe, les banques ont exigé des remboursements rapides de dettes, ce qui a précipité la chute. Conclusion: Glencore déplore la situation mais n'est en rien responsable des dégâts.
Un endettement de 125 millions d'euros
Cette argumentation est contestée par ceux qui ont vécu ce drame industriel de près. «Fin 2002, Metaleurop affirmait au ministère de l'Economie qu'il était sur la voie du redressement. La décision brutale du 16 janvier soulève quand même de sérieuses questions sur le jeu de Glencore», confie un expert gouvernemental. Le groupe helvétique est entré en 1995 à 33% dans le tour de table de Metaleurop. Premier négociant mondial de métaux, de charbon et d'aluminium, il a multiplié les prises de participation dans les unités de production aux quatre coins du monde. Pour le zinc, Glencore a ainsi un pied en France et en Allemagne avec Metaleurop, une filiale en Italie (Porto Vesme), des intérêts au Kazakhstan (Kazzinc), au Pérou et chez le sud-africain Xstrata... Objectif: maîtriser les coûts, jouer sur les marges, sécuriser ses approvisionnements.
Au siège parisien de Metaleurop, Glencore s'est d'abord fait discret. «A l'exception de quelques escarmouches avec leurs affidés, nos relations étaient presque normales, raconte un ancien dirigeant. Ils nous livraient ou nous achetaient des produits aux prix mondiaux.» Vice-président du conseil de surveillance, Willy Strothotte - «une grosse pointure, qui sait être charmant» - fait patte de velours. Pourtant, à partir de la fin 2000, Bertrand Durrande, PDG de Metaleurop, commence à se heurter à son principal actionnaire sur un sujet essentiel: la reconversion du groupe en simple unité de transformation à bas coûts pour Glencore.
Le PDG refuse cette option, craignant que Metaleurop ne devienne alors totalement prisonnier d'un seul de ses actionnaires. La tension monte. Confronté à un cours du zinc qui s'érode et à un endettement de 125 millions d'euros, Metaleurop, sans être à l'agonie, traverse une passe délicate. «Mais comme nous avions convaincu Glencore de la nécessité de moderniser la ligne de production de plomb de Noyelles-Godault, avec 17 millions d'euros investis en 2001, nous n'avions aucune raison de nous inquiéter outre mesure», se souvient un cadre maison. Pour se désendetter, le PDG propose même la cession de l'activité de recyclage des poussières d'aciéries. Refus de Strothotte, qui estime le projet trop flou!
Finalement, l'actionnaire principal finit par obtenir la tête de Durrande, qui quitte la société en juin 2002, remplacé par un Américain choisi par Glencore, Russ Robinson. Les changements se font vite sentir. «Une fois Durrande écarté, Glencore avait les mains libres», estime un dirigeant. Nommé en juillet à la direction de l'établissement de Noyelles-Godault, l'ingénieur Christian Thomas, qui planche alors sur un projet ambitieux de reconversion de la filière zinc, est brutalement écarté de ses fonctions, au profit de Gilbert-Alain Ferrer, un cadre venu des achats. Ce dernier n'a plus guère voix au chapitre. Les stocks de l'usine font l'objet de ventes précipitées. Glencore, promettant une aide temporaire de 25 millions d'euros, prend en gage les actions du holding coiffant les filiales allemandes de Metaleurop. Deux administrateurs démissionnent.
«C'est du dépeçage cynique»
Surtout, le groupe Metaleurop annonce la cession inopinée de l'usine d'électrolyse de zinc de Nordenham, en Allemagne, présentée naguère comme un des fleurons stratégiques du groupe! Curieusement, c'est la société Xstrata, elle-même contrôlée à 40% par Glencore, qui rachète ce bijou, pour 100 millions de dollars. Le prix a été certifié «équitable» par la banque Lazard, mais plusieurs analystes financiers estiment qu'il est particulièrement bas. «Même si les cours du zinc, très déprimés, justifiaient une décote, au moins Metaleurop aurait-il dû imposer une clause de révision du prix en cas de remontée des cours», explique un expert. Tel n'a pas été le cas.
Glencore affirme n'être pas intervenu dans cette négociation, ni dans les délibérations du conseil de Metaleurop approuvant cette cession. Mais nombre d'observateurs s'interrogent sur une coïncidence: la conclusion de la vente par Metaleurop de son usine allemande à Xstrata à prix contesté a précédé de quelques jours l'abandon de Metaleurop Nord. Explication officielle: contraint de se désendetter rapidement, Metaleurop a dû vendre Nordenham, mais cela n'a pas suffi à sauver l'usine de Noyelles-Godault, qui devenait un gouffre. Une thèse qui fait grincer certains anciens dirigeants: «Réuni, l'ensemble était cohérent et viable. Il n'y avait aucune fatalité à la débâcle. Mais Glencore a réussi a extraire la perle du groupe. Du coup, le reste de Metaleurop devenait un poids mort. C'est du dépeçage cynique.»
Marc Rich, le «fugitif»
Sauvetage raté ou pillage organisé? Le débat aura sans doute des suites judiciaires. Estimant que cette cession de Nordenham s'effectuait dans des conditions désavantageuses pour Metaleurop, un administrateur indépendant, Christian Castel, représentant les petits porteurs, s'y est vivement opposé, avant de démissionner de son mandat, fin janvier. Egalement dubitatifs, les commissaires aux comptes ont alerté le parquet de Paris, qui a ouvert, début février, une information judiciaire contre X, pour abus de biens sociaux et recel. Confiée au juge Armand Riberolles, l'enquête a déjà conduit à des perquisitions, notamment au siège de Metaleurop. Mezza voce, les dirigeants de Glencore affirment qu'ils n'ont rien à se reprocher et qu'ils coopéreront avec la justice. «Mais avant de réussir à exécuter des commissions rogatoires à Zoug, beaucoup d'eau aura coulé sous les ponts», déplore un syndicaliste.
L'affaire Metaleurop affectera-t-elle réellement la galaxie Glencore? Rien n'est moins sûr, tant le groupe de Willy Strothotte, qui brasse 44 milliards de dollars de chiffre d'affaires chaque année - ce qui le place au deuxième rang des groupes suisses, derrière Nestlé - paraît inoxydable. Les scandales entourant ses fondateurs et ses méthodes parfois abruptes ne l'ont pas empêché de prospérer sur les bords du lac de Zoug depuis près de trente ans. Selon une récente confidence de Willy Strothotte au Financial Times, la rentabilité est toujours de plus de 10% par an...
A ses débuts, en 1974, Glencore s'appelait Richco. Cette société de négoce a été créée par Marc Rich, un Américain natif d'Anvers, considéré comme un trader de génie du marché du pétrole. Accusé par le gouvernement américain d'avoir commercé illégalement avec l'Iran des ayatollahs durant la crise des otages, Marc Rich fuit New York en 1983 et installe son QG à Zoug, ce canton de Suisse d'où il ne sera pas extradé... Risquant 325 années de prison s'il est arrêté, Marc Rich voyage discrètement et se repose tous les étés dans sa villa de Marbella, en Espagne. Cette vie de milliardaire fugitif ne l'empêche pas d'étendre son empire, y compris aux Etats-Unis, brassant des cargaisons de toute nature: blé européen, riz vietnamien, aluminium russe, pétrole nigérian, cuivre chilien, charbon chinois. Les traders de Rich ont toujours une contrepartie à offrir, un contact, un financement. «Depuis leurs débuts, ce sont des professionnels avertis, avec un carnet d'adresses mondial et une connaissance très pointue de chaque filière industrielle», admet l'économiste Philippe Chalmin, coauteur de Cyclope, un rapport annuel de référence sur les matières premières.
Mais la mentalité opportuniste des traders n'est pas toujours celle des industriels. Traité de «saltimbanque» par Jean Gandois, alors PDG de Pechiney, Rich se voit refuser par le gouvernement de Michel Rocard la reprise de l'usine d'aluminium de Noguères. En 1988, Rich investit quand même dans l'Hexagone, prenant 50% de l'unité de traitement des rejets de flottation de la mine d'or de Salsigne (Aude), un des sites industriels les plus pollués de France. L'usine tourne quelque temps. Après le dépôt de bilan de la mine en 1991, Marc Rich prend la poudre d'escampette, recédant ses parts à d'autres investisseurs. «Il a tout fait pour limiter ses engagements financiers dans la débâcle», se souvient François Derclaye, ancien président de la Société des mines et produits chimiques de Salsigne.
L'un de ses traders s'achète une île aux Bahamas pour s'y retirer
L'équipe de Rich jongle avec les affaires et s'enrichit. L'un de ses traders, John Trafford, s'achète une île aux Bahamas pour s'y retirer. D'autres, comme les Français Claude Dauphin et Eric de Turkheim, vont fonder leur propre société de négoce, Trafigura, très active dans le pétrole. Un autre de ses associés, le Corrézien Patrick Maugein, polytechnicien proche de Jacques Chirac, se lancera de son côté dans des opérations plus sulfureuses
Bras droit de Rich, spécialiste de l'aluminium, Willy Strothotte, lui, reste aux manettes. Indirectement, il a pris des parts dans une usine d'aluminium située à Ravenswood (Virginie-Occidentale) dans le sud-est des Etats-Unis. En novembre 1990, après un conflit social, les managers licencient 1 700 ouvriers syndiqués sur les 1 900 salariés de l'établissement. Les syndicats américains exigent leur réintégration. Le bras de fer s'éternise. Des manifestations syndicales sont organisées partout dans le monde, dénonçant Strothotte, la pieuvre Richco et le «fugitif» Marc Rich.
Cargaisons coulées
Jugeant les méthodes de son collaborateur un peu raides, Rich, qui cherche à négocier parallèlement son amnistie personnelle à Washington, tente d'éteindre l'incendie. Mi-1992, les ouvriers sont réembauchés, les dirigeants remplacés. Strothotte quitte le groupe quelques mois, avant de revenir, une fois l'orage passé. Aujourd'hui, Glencore, actionnaire de Ravenswood, avance que le climat social y est exemplaire...
Entre le fondateur et son bras droit, les désaccords s'accumulent. Le divorce est inéluctable. Marc Rich revend ses parts en 1994 et crée une nouvelle société de négoce indépendante, qu'il tentera, en vain, début 2001, de céder au conglomérat russe Alfa, futur propriétaire de la cargaison maudite du Prestige... En janvier 2001, Marc Rich, toujours recherché par les autorités américaines, obtiendra un pardon pour ses délits, signé de la main du président Clinton, dans des conditions controversées.
Dès 1994, Strothotte et ses lieutenants ont, quant à eux, rebaptisé leur maison Glencore. Son siège est situé à Baar, dans la banlieue de Zoug. Son actionnariat et ses bilans restent confidentiels. Sa stratégie demeure inchangée, mêlant le trading de matières premières dans plus de 50 pays et des intérêts industriels diversifiés dans les métaux. Ce qui ne va pas sans créer parfois quelques frictions. Ainsi, au Monténégro, le combinat d'aluminium de Podgorica (KAP), principale usine du pays, confie en octobre 1998 le management de son usine à Glencore. En contrepartie, ce dernier s'engage, selon Les Echos, à un investissement de 20 millions de dollars et garantit l'achat de la production à un cours inférieur aux cours mondiaux
L'affaire fait grand bruit, car le deal bénéficie de l'appui d'un homme d'affaires proche du président monténégrin, Djukanovic. De plus, le principal négociateur du gouvernement est ensuite embauché comme directeur général de KAP! Après les bombardements de 1999 sur la Serbie, les officiels européens et américains, soucieux d'aider économiquement le Monténégro, doivent faire pression sur le groupe suisse afin qu'il révise son contrat, jugé léonin, avec KAP. Glencore se défend aujourd'hui de sous-payer l'aluminium et met en avant son aide à la rénovation de l'usine.
Un autre bras de fer se déroule ensuite en Géorgie. En décembre 2000, le conseil consultatif du ministère de l'Economie critique violemment les dirigeants de la société privatisée JSC Madneuli (traitement du minerai de cuivre, d'or, et d'argent), notamment pour leur alliance avec Glencore, lequel n'aurait pas respecté ses engagements financiers. Selon ces experts, le but de ce partenariat, noué en 1998, consistait à pousser la société géorgienne à la faillite et à récupérer son minerai d'or à bas prix... Glencore a, là aussi, plaidé sa bonne foi, en proposant de nouveaux investissements.
Mais signer un contrat avec ce groupe n'est pas forcément de tout repos. Michel Jehan, un chef d'entreprise installé à Rezier (Haute-Savoie), en sait quelque chose. Ancien cadre de Pechiney, cet ingénieur a créé en 1996 sa propre entreprise, MCP Technologies, spécialisée dans le traitement du magnésium. Non sans assurances: il avait en poche un contrat d'exclusivité de huit ans avec une société luxembourgeoise de trading, International Metals, filiale du groupe minier sud-africain SA des Minerais. «Ils me fournissaient le magnésium et me prenaient le produit transformé. Je me pensais protégé», raconte Michel Jehan. En 1998, Glencore met la main sur la SA des Minerais. La filiale luxembourgeoise de négoce, qui ne l'intéresse guère, va être mise en veilleuse. «On m'a d'abord dit qu'on me fournirait moins de produits, en me conseillant de licencier la moitié de mon personnel. Puis, au milieu de l'année 1999, ils ont cessé de payer mes factures.» Exsangue, MCP Technologies cherche des appuis extérieurs et fait saisir, à titre conservatoire, un stock de magnésium avant de recourir à l'arbitrage prévu contractuellement, s'estimant sûr de ses créances.
Las! en mars 2001, l'arbitre unique déboute la PME, qui doit même verser 1,3 million d'euros de dommages à International Metals, notamment pour rupture de contrat et livraison défectueuse. «N'ayant aucun recours, j'ai dû déposer le bilan en septembre 2002 et trouver d'autres soutiens pour redémarrer mon activité», explique Michel Jehan, qui a le sentiment de s'être fait piéger. Coïncidence: la marchandise litigieuse reçue par Glencore a disparu, fin 1999, dans l'incendie d'un grand entrepôt près de Liège, en Belgique...
Glencore n'a décidément pas de chance avec certains de ses produits. Le 17 février 2000, à 11 heures du matin, Torben Matz, capitaine du cargo danois Thor Emilie, se rafraîchit dans la salle de bains de sa cabine, lorsqu'une gigantesque explosion secoue le navire, qui fait route en Méditerranée. Selon son témoignage, le capitaine, projeté contre la porte, a juste le temps de se traîner jusqu'à un canot de sauvetage et de sauter par-dessus bord. En moins d'une minute, le Thor Emilie coule à pic, par 2 800 mètres de fond, à une centaine de kilomètres des côtes algériennes, avec son chargement de 2 000 tonnes de dérivés de zinc. Six membres de l'équipage sont portés disparus. Seul rescapé, Torben Matz est recueilli dix heures plus tard par un navire maltais. On ne retrouvera aucune trace du Thor Emilie.
Pétrole irakien
Les experts de l'Organisation maritime internationale (OMI) sont chargés de mener l'enquête sur ce naufrage peu banal. Leur rapport, établi en juin 2002, est accablant: contrairement à ce qu'avait annoncé le propriétaire de la marchandise embarquée, en l'occurrence Glencore, à l'exploitant du bateau, la cargaison n'était pas de l'oxyde de zinc, mais des écumages de zinc, dont le contact avec l'eau pouvait être particulièrement explosif! «Le capitaine n'a pas été informé, avant et après son départ de Dunkerque, de manière correcte, des caractéristiques de la cargaison ni de sa nature dangereuse», écrivent les enquêteurs. Sur la sellette, Glencore s'est retourné contre Metaleurop, puisque la marchandise provenait de l'usine de Noyelles-Godault...
L'affaire du Thor Emilie est loin d'être close: le 14 février dernier, le journal des Lloyds a révélé que le syndicat des marins danois (Dana) a décidé d'engager des poursuites contre Glencore, au nom du capitaine rescapé. Réponse officielle du groupe suisse au Lloyd's List: «Les circonstances entourant ces pertes sont inhabituelles et les enquêtes sont en cours. Nous ne pouvons faire d'autres commentaires.» Interrogé par L'Express, un porte-parole de Dana confirme ses intentions judiciaires: «A nos yeux, Glencore est le principal responsable.» Les familles des autres victimes pourraient emboîter le pas. De plus, les autorités maritimes danoises auraient transmis le dossier en Suisse et en France pour d'éventuelles poursuites.
Glencore a également eu des soucis, heureusement moins tragiques, avec d'autres navires. En février 2001, les Nations unies ont suspecté le groupe helvétique d'avoir détourné une cargaison de pétrole irakien destiné aux Etats-Unis vers la Croatie, en violation du programme onusien «Pétrole contre nourriture». Pour le groupe suisse, il s'agissait d'un simple malentendu sur la notion du transbordement. Mais, grâce aux différences de prix du brut irakien selon les destinations, Glencore a encaissé un profit de 3 millions de dollars dans cette opération! Craignant d'être banni d'un commerce juteux, Glencore a finalement décidé de rembourser l'argent contesté à l'ONU... Précision utile: son concurrent Trafigura, dirigé par d'autres anciens traders de Marc Rich, s'est fait aussi prendre la main dans le sac d'une vaste contrebande de brut irakien en 2001. Habitué des hautes mers, Glencore n'est pas seul à naviguer parfois en eaux troubles...

http://www.fsa.ulaval.ca/personnel/VernaG/EH/F/ethique/lectures/galaxie_Glencore.htm

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